Nous sommes le 8 juin 1997 à Lyon. L'Italie et le Brésil, finalistes de la Coupe du monde trois ans plus tôt, s'apprêtent à s'affronter pour la première rencontre depuis cette étouffante journée de Pasadena. Cesare Maldini, alors entraîneur, s'approche de Fabio Cannavaro et lui dit « Fabio, nous verrons si ce Ronaldo est vraiment un phénomène.» À la fin d'un palpitant 3-3 au cours duquel Ronaldo avait marqué et tourmenté Cannavaro et Paolo Maldini, Cannavaro est revenu vers Maldini Senior et lui a dit qu'il était effectivement LE vrai phénomène. Maldini a répondu « Oui Fabio, tu as raison.» Six semaines plus tard, Ronaldo rejoint l'Internazionale.
Selon l'ancien président de l'Inter Massimo Moratti, l'idée de signer Ronaldo est née après un nul 0-0 à l'extérieur contre la Fiorentina trois mois plus tôt. Moratti aurait concocté le plan de recruter le plus grand joueur du monde dans un taxi florentin. Toujours fidèle à sa parole, Moratti exploita les tensions croissantes entre Ronaldo et Barcelone pour activer la clause de rachat du Brésilien. L'euphorie générée par l'arrivée de Ronaldo cet été-là n'avait pas été vue depuis que Diego Maradona avait rejoint Naples 13 ans plus tôt.
Un récit révisionniste de la carrière de Ronaldo est que l'année à Barcelone a été l'apogée de sa carrière. En parlant strictement de statistiques, c’est vrai. Il a inscrit 47 buts en 49 matchs toutes compétitions confondues. Pourtant, c'est sa première saison à l'Inter qui a véritablement été l'apogée du Ronaldo 1.0, où cette force de la nature parfaitement combinée a son talent détruisit sur son passage. Se déchaîner dans la Liga était une chose, mais le faire en Serie A, de loin le championnat le plus complexe du monde, et 1997-98 étant sans doute la saison la plus forte que le sport ait jamais connue, en était une autre. À cette époque, la Serie A abritait depuis des années les meilleurs joueurs du monde et les attaquants les plus redoutés. Les défenseurs grisonnants et aguerris de l'Italie étaient habitués à affronter les plus grands étrangers chaque semaine, mais ils n'étaient pas tout à fait prêts pour Ronaldo. Si Maradona possédait le génie du dribble, Zinedine Zidane le toucher éthéré et des joueurs comme Marco Van Basten, Gabriel Batistuta et George Weah une physicalité brute saupoudrée d'une touche d'élégance, Ronaldo était un cocktail enivrant de tous.
Les débuts très attendus de Ronaldo ont été chamboulés par un Alvaro Recoba alors inconnu, qui a mis deux obus en cinq minutes pour vaincre Brescia. Le deuxième match de la saison a vu l'Inter se déplacer pour affronter le Bologne de Roberto Baggio dans un match présenté comme « Ronaldo contre Baggio » ; une bataille entre les deux premiers joueurs du jeu pendant une grande partie de la décennie. Un Stadio Dall'Ara sous la pluie a vu un classique instantané, avec Baggio marquant deux fois et l'Inter quatre fois. Le troisième de l'Inter a vu Ronaldo prendre le large, passant le défenseur avant de planter le ballon dans le but avec son gauche.
« Ronaldo ? Maman Mia ! Quel joueur », a réfléchi Baggio. « Il venait du futur. Il jouait au football avec une technique et une rapidité en avance sur son temps. Je l'ai vu faire des choses impensables, auxquelles personne n'avait fait ou pensé jusque-là. Il était unique. » Ronaldo en a marqué six lors de ses sept prochains matchs, dont une performance incroyable contre Parme en octobre qui l'a vu danser, pivoter et glisser devant les joueurs à volonté. Juste pour prouver qu'il pouvait faire ce qu'il voulait, il a décoché un coup franc devant Gianluigi Buffon à 25 mètres passant en dessous de la barre transversale. À Noël, Ronaldo en avait marqué 9 sur 13.
« C'était un extraterrestre parmi les humains », a déclaré Buffon à propos de Ronaldo. « Il semblait avoir été créé dans un laboratoire.» C’était le joueur parfait, car il avait de la puissance, de la vitesse, de l’intuition, de la technique et de la rapidité. Et c'était la beauté du premier Ronaldo, il pouvait littéralement tout faire : il prenait penaltys, coups francs et même corners lors de la première saison de l'Inter, il récupérait le ballon près de la ligne médiane et procédait à des dribbles endiablés.
Ronaldo et l'Inter ont connu une légère baisse après la victoire 1-0 contre la Juventus au début de 1998, perdant 10 points en janvier et février. Son seul et unique triplé en championnat a eu lieu lors du 5-0 contre Lecce au milieu de cette période délicate.
Pourtant, si vous vouliez avoir un aperçu de la qualité insondable de Ronaldo au cours de cette période dorée de deux ans, le match contre le Spartak Moscou en demi-finale retour de la Coupe UEFA à Moscou est la distillation parfaite d'un joueur évoluant dans une orbite différente. Décrire le terrain de l'ancien stade Dynamo comme un champ de patates serait un affront aux champs de patates du monde entier. Mélange de glace et de neige en raison du temps typique d'avril dans la capitale russe, le match a été inexplicablement autorisé à se dérouler… mais cela n'a fait que peu de différence pour Ronaldo. Il a marqué deux fois, et si son premier était un coup opportuniste, son deuxième était tout sauf cela. Ronaldo a récupéré le ballon en profondeur, a filé en un rien de temps, a pénétré dans le cœur de la défense du Spartak, l'a transmis à Ivan Zamarano, qui a relayé le ballon à Ronaldo. Ronaldo, avec le ballon, dansa à travers deux défenseurs d'une seule touche, a contourné le gardien de but et a envoyé le ballon dans les filets… et le tout à grande vitesse tout en jouant efficacement sur une patinoire. « Straordinaire ! » a crié le légendaire commentateur de la Rai Bruno Pizzul. Ah oui, en effet.
La saison s'était construite jusqu'à l'affrontement titanesque entre l'Inter et la Juventus fin avril. Le Derby d'Italie le plus important depuis des décennies, avec seulement un point qui les séparait, s'est essentiellement réduit à une bataille entre Ronaldo et Alessandro Del Piero, les deux meilleurs joueurs du monde. Les deux s’étaient surpassés toute la saison, obligeant l’autre à faire monter les enchères. « Quand tu es arrivé à l'Inter, tu étais déjà dans ma tête et tu m'as inspiré à devenir meilleur », a révélé Del Piero à Ronaldo en 2020. Ronaldo avait marqué 22 buts en 28 matchs de Serie A et avait dominé la Coupe UEFA ; Del Piero en avait 20 en 30 matchs et avait dominé la Ligue des Champions. Celui qui gagnerait le match remporterait le titre. Le match et ce qui s'est passé vivent désormais dans l'infamie et ne seront pas disséqués ici, mais la vérité est que Ronaldo avait raté plusieurs occasions avant l'incident de Mark Iuliano. Pour un homme remarquablement zen devant les gardiens, l’histoire du match était plutôt celle des occasions manquées que celle des penaltys non accordés. La défaite 1-0 a coupé le vent aux voiles de l'Inter, et le championnat ayant mathématiquement disparu après une défaite surprise contre Bari début mai, l'attention était portée sur la Coupe UEFA et la finale contre la Lazio à Paris .
« J'ai regardé ce match tellement de fois depuis, en essayant de comprendre ce que j'avais fait de mal », a noté Alessandro Nesta. « Nous avons perdu 3-0, mais je ne pense pas que ce soit de ma faute. Ronaldo était tout simplement imparable. Il est si rapide qu’il donne l’impression que tout le monde est immobile. »
Nesta, l'un des défenseurs les plus élégants jamais produits par l'Italie et capable d'enchaîner Lionel Messi à l'âge de 36 ans, n'a pas pu faire grand-chose pour arrêter Ronaldo à 22 ans. Le Brésilien a réalisé la performance la plus complète de sa carrière, jouant avec la Lazio pendant 90 minutes. Javier Zanetti et Zamorano avaient déjà marqué avant que Ronaldo se joue du piège du hors-jeu de la Lazio à la 69e minute pour embobiner complètement le malheureux Luca Marchegiani, mettant le gardien au sol sans même toucher le ballon avant de le placer dans le but vide. « C'était incroyable, mais il faisait des tricks comme ça à chaque entraînement », se souvient Youri Djorkaeff. « Nous y étions habitués. Ronaldo était phénoménal. Il a prouvé qu’il était un cran au-dessus des autres cette saison-là. » Ronaldo était un footballeur du 21e siècle évoluant dans les braises mourantes du 20e.
Ronaldo terminerait la saison 1997-1998 avec 34 buts toutes compétitions confondues, 25 en Serie A, et avait déchiré les défenses dures de la Serie A en lambeaux. « Mes adversaires les plus coriaces seraient Maradona, Ronaldo, qui a été phénoménal lors de ses deux années à l'Inter, et Zidane », a rétorqué Maldini lorsque La Gazzetta dello Sport lui a demandé de nommer les joueurs qui lui ont donné le plus de mal pendant 24 ans au plus haut niveau. « Ronaldo était le seul joueur qui m’a vraiment fait peur. Le simple fait de marcher sur le même terrain que lui était terrifiant pour moi », a écrit Cannavaro sur The Players' Tribune en 2018.
Il n'a pas ramené le Scudetto à l’Inter, mais avant France 1998, il ne faisait aucun doute que Ronaldo était le meilleur footballeur sur la planète Terre. Tout semblait être là pour qu'il puisse le prendre, et la plupart pensaient qu'il ne ferait qu'atteindre des sommets encore plus élevés. Pourtant, au fil de l'histoire, deux mois seulement après son apogée en Coupe UEFA à Paris, la même ville a été témoin du début de la fin du Ronaldo 1.0, et il n'a plus jamais été le même. Le genou humain n'a tout simplement pas été construit pour ce niveau de contorsion, traction et poussée, pas sur un cadre aussi musclé que celui de Ronaldo et à une vitesse aussi dévastatrice et séduisante.
Mais si vous étiez assez vieux et assez chanceux pour en être témoin, le Ronaldo 1997-1998 était spécial. Après un an en Serie A, peu de gens n’étaient pas d’accord avec l'évaluation initiale de Cannavaro : Ronaldo était bien Il Fenomeno. Et la Serie A n’a rien vu d’aussi remarquable depuis.
Traduction alex_j.
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