Timide voire effacĂ©, Luis Suarez est le seul joueur nĂ©Â en Espagne Ă avoir obtenu le Ballon dâor, en 1960. Artificier de la seule victoire internationale de la sĂ©lection ibĂ©rique, 2 Coupes des Champions, 2 Coupes Intercontinentale et 3 Scudetti avec l'INTERNAZIONALE, Suarez est vĂ©ritablement une lĂ©gende, nâen dĂ©plaise Ă certainsâŠ
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 Entretien avec Luis Suarez
Quels sont vos premiers souvenirs liés au football ?
CitationJe me rappelle avec beaucoup de nostalgie le temps oĂč je pratiquais le football dans la rue, lorsque je n'Ă©tais encore qu'un gamin. Nous n'avions rien, et avec des amis, nous avions l'habitude de jouer sur les terrains vagues qui jouxtaient la Tour d'Hercules (NDLR : le plus grand monument de La Corogne). Il n'y avait pas de terrains, pas de cages, mais pour nous c'Ă©tait toujours une vĂ©ritable fĂȘte de taper dans le ballon. Le football Ă©tait alors encore un jeu innocent. Ensuite, j'ai intĂ©grĂ© les catĂ©gories de jeunes du Deportivo La Corogne. Pour moi, ce fut un vrai changement : on avait des maillots, des crampons et des vraies cages. C'est dans cette Ă©quipe que tout a rĂ©ellement commencĂ© pour moi.
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Comment avez-vous été contacté par le Barça ?
CitationJ'Ă©tais tout jeune quand mon entraĂźneur m'a annoncĂ© que j'allais jouer avec l'Ă©quipe professionnelle du Deportivo Ă l'occasion d'un match amical contre le Barça. J'Ă©tais vraiment impressionnĂ©, mais je me rappelle avoir trĂšs bien jouĂ©. Les supporters catalans ont mĂȘme scandĂ© mon nom dans les tribunes et aprĂšs le match, tout le monde est venu me fĂ©liciter. Ce match s'est avĂ©rĂ© trĂšs important pour la suite de ma carriĂšre car c'est Ă partir de lĂ que les dirigeants barcelonais ont dĂ©cidĂ© de prendre contact avec moi.
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L'arrivée d'Helenio Herrera au poste d'entraßneur a constitué un tournant dans votre carriÚre...
CitationC'est vraiment avec lui que j'ai atteint mon meilleur niveau et que j'ai acquis l'ambition qui me faisait auparavant défaut pour progresser. Il m'a donné le goût de la victoire et la confiance, qualités que je n'avais pas vraiment exploitées avec ses prédécesseurs. J'ai du reste été immédiatement conquis par ses valeurs humaines et professionnelles, basées sur le sacrifice et le dévouement inconditionnel. Il existait une relation privilégiée entre nous deux, une relation que je pourrais seulement comparer à l'amour d'un pÚre pour son fils. Je n'ai jamais douté de lui, ni lui de moi, c'est ce qui faisait notre force.
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Quel Ă©tait son dispositif tactique Ă Barcelone ?
CitationHerrera confiait beaucoup de responsabilitĂ©s Ă ses joueurs mais en mĂȘme temps leur laissait une certaine libertĂ© dans le jeu. A l'Ă©poque, les schĂ©mas tactiques Ă©taient moins rigoureux vous savez, c'est la beautĂ© du jeu qui primait avant tout, il fallait juste marquer un but de plus que l'adversaire. Notre jeu Ă©tait clairement portĂ© vers l'attaque et devait se baser sur la vitesse du ballon et celle des joueurs. Il y avait deux milieux de terrain qui se partageaient les tĂąches, entre travail dĂ©fensif et offensif. En attaque, les ailiers avaient pour consigne de dĂ©border les dĂ©fenses pour fournir en ballon les deux avants centres. Herrera a profitĂ© des qualitĂ©s naturelles de ses joueurs en adoptant un systĂšme de jeu basĂ© sur la rapiditĂ© et sur la technique. S'il n'avait pas possĂ©dĂ© de joueurs aussi talentueux qu'Evaristo, Martinez, Kubala ou moi-mĂȘme, l'Ă©quipe n'aurait pas marquĂ© 100 buts en une saison, ni remportĂ© de titres, et il aurait sans doute rĂ©flĂ©chi Ă un autre moyen de gagner les matchs. Il avait la capacitĂ© de tirer le maximum de ses joueurs, c'Ă©tait sans doute cela sa grande qualitĂ©.
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Quels sont vos souvenirs des Clasicos contre le Real Madrid ?
CitationVous savez, ce sont des matchs Ă trĂšs haute tension mais c'est surtout entre les supporters des deux camps que la rivalitĂ© existe. Nous, les joueurs, nous nous respections beaucoup, il n'y avait aucun problĂšme entre nous, mais sur le terrain c'Ă©tait autre chose...je ne pense pas qu'avant c'Ă©tait pire qu'aujourd'hui au niveau de l'engagement. J'ai mĂȘme l'impression qu'il y a de moins en moins de gentlemen dans ce milieu...
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Vous gagnez le Ballon d'or en 1960 et l'année suivante vous rejoignez l'Inter Milan. Pour quoi ce choix ?
CitationJ'avais besoin de nouveaux défis à relever. L'Inter est arrivé au bon moment. Le fait qu'Herrera soit allé les rejoindre a également été déterminant dans mon choix. Il avait demandé mon arrivée en affirmant aux dirigeants de l'Inter que j'étais le joueur qui lui manquait pour pouvoir rivaliser avec les grandes équipes. Le Barça ne voulait pas me lùcher mais le club lombard a fini par débourser une somme astronomique pour l'époque, alors quand j'ai finalement eu l'opportunité de partir je l'ai fait, presque sans réfléchir. En arrivant, j'avais une pression énorme mais le fait qu'Herrera soit à mes cotés m'a beaucoup rassuré. Je ne connaissais rien de l'Italie, je ne savais pas à quoi m'attendre, mais j'étais sûr de mon choix. J'avais une confiance énorme en mon entraßneur et cela m'a permis de m'imposer tout de suite.
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La premiÚre année est pourtant difficile...
CitationHerrera s'est vite rendu compte des diffĂ©rences de jeu qui existaient entre l'Italie et l'Espagne. Au dĂ©part, il pensait pouvoir jouer avec le 4-2-4 du Barça mais au fur et Ă mesure il a adoptĂ© un systĂšme beaucoup plus dĂ©fensif. LĂ encore, il a su s'adapter aux caractĂ©ristiques des joueurs qu'il avait Ă sa disposition. Vous savez, je vous parle d'un temps oĂč l'Inter n'Ă©tait pas encore une grande Ă©quipe, c'Ă©tait plus difficile de jouer lĂ -bas que de le faire au Barça par exemple, mais c'Ă©tait ça qui m'intĂ©ressait. Ma plus grande fiertĂ©, c'est d'avoir remportĂ© des trophĂ©es avec l'Inter. Cela n'a pas Ă©tĂ© facile, mais j'ai contribuĂ© Ă ce qu'il devienne un grand club.
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Quel est votre meilleur souvenir dans cette Ă©quipe ?
CitationLa finale de la coupe d'Europe remportée face au Real Madrid ; c'était une grande satisfaction de pouvoir gagner contre le rival historique du Barça. J'en garde de merveilleux souvenirs car c'est là que nous avons vraiment gagné le respect de nos adversaires. Une juste consécration aprÚs autant d'efforts consentis sur le terrain.
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On parle toujours du Barça de Kubala mais on a tendance à vous oublier malgré votre Ballon d'or. A quoi cela est-il dû à votre avis ?
CitationPeut-ĂȘtre que je ne suis pas restĂ© assez longtemps Ă Barcelone. Je ne sais pas en fait. Je n'ai pas d'explication. Je n'ai jamais su me vendre comme certains, et je dois avouer que je ne suis pas extrĂȘmement douĂ© en relations publiques. Il y a beaucoup de joueurs qui ont joui d'une plus grande reconnaissance que moi, alors qu'ils n'ont pas fait beaucoup plus que moi. C'est un peu ingrat mais c'est la vie, je ne vais pas pleurer pour cela. J'aurais aimĂ© avoir plus de considĂ©ration, plus de respect, mais c'est du passĂ©, je ne suis pas amer. Vous savez ce qui me fait le plus plaisir ? Ce sont les soirĂ©es organisĂ©es par France Football. Tous les laurĂ©ats sont invitĂ©s, et lĂ je me dis qu'ils ne peuvent pas faire l'impasse sur le fait que moi aussi je l'ai gagnĂ© ce Ballon d'or. Les gens sont obligĂ©s de constater que moi aussi j'ai Ă©tĂ© un grand joueur, avec un palmarĂšs important qui plus est. D'une certaine façon, je fais partie de l'histoire de ce jeu, et cela, personne ne peut l'occulter.
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Quelles sont les raisons pour lesquelles vous n'ĂȘtes pas retournĂ© vivre en Espagne ?
CitationEn Italie, je suis plus populaire qu'en Espagne. Ici, les gens Ă©prouvent du respect pour moi, ils savent ce que j'ai fait pour l'Inter et me remercient tous le jours pour cela. Ils sont reconnaissants envers l'homme que je suis, au delĂ du simple joueur. Je suis toujours accueilli chaleureusement en Italie et c'est ce que j'aime ; il y a beaucoup de respect de la part de tous les supporters italiens et pas seulement ceux de l'Inter, c'est ce qui me rend le plus fier car je sais que c'est sincĂšre. En Espagne, c'est un peu moins le cas, les gens vous tutoient, ils vous disent que vous ĂȘtes fantastique mais une fois que vous avez le dos tournĂ©, ils n'arrĂȘtent pas de vous critiquer. Si j'avais eu la possibilitĂ© de jouer pour l'Ă©quipe nationale d'Italie et si on me l'avait proposĂ©, j'aurais beaucoup rĂ©flĂ©chi...Et je crois mĂȘme que j'aurais fini par accepter.
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Vous avez quand mĂȘme permis Ă l'Espagne de remporter son seul titre international. N'avez-vous pas eu l'impression que Franco s'accaparait cette victoire pour promouvoir son rĂ©gime ?
CitationFranco n'aimait pas le football, il n'est jamais venu nous voir, ni Ă l'entraĂźnement ni pendant la finale contre la Russie. Je me rappelle d'ailleurs qu'il ne voulait pas qu'on joue contre cette derniĂšre pour des raisons diplomatiques. On Ă©tait en train de s'entraĂźner normalement quand une personne de la fĂ©dĂ©ration est venue nous expliquer que le match n'aurait pas lieu. Quatre ans plus tard, le sort a voulu que nous jouions la finale contre les Russes, et heureusement, nous avons gagnĂ©. Mais Ă aucun moment Franco n'est venu nous parler, ni nous ordonner de gagner. En fait, pendant toute la compĂ©tition, nous avons Ă©tĂ© tranquilles. Personne ne nous dĂ©rangeait ou n'est venu nous voir. AprĂšs la victoire, Franco nous a invitĂ©s Ă Madrid et nous a remis une mĂ©daille du mĂ©rite, mais lĂ non plus, il n'a rien dit. En fait, je crois qu'il ne savait mĂȘme pas comment on s'appelait.
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Quel est votre opinion sur le football actuel ?
CitationLes joueurs de football sont devenus des produits marketing. Ils ont tendance à beaucoup exagérer et devraient comprendre que le football demande de l'énergie et beaucoup de travail. En répondant à toutes les sollicitations extra-footballistisques, ils gaspillent beaucoup de temps précieux ainsi que des forces, physiques et mentales, au détriment de la compétition. Etre footballeur, c'est une profession et certains l'ont sans doute oublié. A mon époque, cela n'aurait pas pu avoir lieu, je pense que nous étions plus sérieux, nous avions plus le sens des responsabilités. Le football est devenu un simple business, je le regrette parfois, ça me dérange un peu que l'amour du maillot soit bafoué pour des histoires d'argent par exemple...
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Quel est votre rĂŽle aujourd'hui Ă l'Inter Milan ?
CitationJe travaille à la cellule de recrutement. Je me déplace partout dans le monde pour trouver des talents susceptibles de rejoindre le club. C'est moi par exemple qui ait découvert Javier Zanetti et Roberto Carlos, c'est pas mal non ?
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Qu'est ce qu'il vous reste encore Ă faire dans le milieu du football ?
CitationRien. Mon seul regret, c'est de ne pas avoir gagnĂ© de coupe du monde avec l'Espagne. A part ça, je n'ai aucun remords. Je suis content de ce que j'ai fait et me garde bien d'envier les autres. La jalousie est une mauvaise chose, il faut ĂȘtre heureux dans la vie et le football m'a procurĂ© Ă©normĂ©ment de bonheur, je lui dois tout.
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- Inter Hall of Fame: les milieux
- 1949-1951 : Perseverencia La Corogne
- 1951 : Deportivo La Corogne
- 1951-1952 : Fabril Deportivo La Corogne
- 1952-1954 : Deportivo La Corogne
- 1954-1961 : FC Barcelone
- 1961-1970 : Inter Milan
- 1970-1973 : Sampdoria de GĂȘnes
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CarriĂšre (entraĂźneur)
- 1974-1975 : Inter Milan (Italie, D1)
- 1974-1975 : Sampdoria de GĂȘnes (Italie, D1)
- 1975-1976 : SPAL (Italie, D1)
- 1976-1977 : CĂŽme (Italie, D1)
- 1978-1979 : Deportivo La Corogne (Espagne, D1)
- 1980-1982 : (assistant) Espagne A
- 1988-1991 : Espagne A
- Champion d'Europe des nations : 1964 (Espagne).
- Coupe d'Europe des clubs champions : 1964 et 1965 (Inter Milan).
- Coupe d'Europe des villes de foires : 1958 et 1960 (FC Barcelone).
- Coupe Intercontinentale : 1964 et 1965 (Inter Milan).
- Coupe Latine : 1955 et 1957 (FC Barcelone).
- Champion d'Espagne : 1959 et 1960 (FC Barcelone).
- Champion d'Italie : 1963, 1965 et 1966 (Inter Milan). http://www.inter.it/aas/img/38335.jpg avec Mario Corso
- Coupe d'Espagne : 1957 et 1959 (FC Barcelone).
- Ballon d'or : 1960
- 32 sélections pour 14 buts avec l'Espagne
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